Tel un véhicule transportant la mémoire collective à travers le temps, le va’a représente encore aujourd’hui une voix de réappropriation et de réactualisation des savoirs ancestraux. Depuis son plus jeune âge, Jean emprunte ce chemin pour nous offrir aujourd’hui un aperçu de son expertise et de sa passion. Rencontre dans son atelier de Mahina.
Encadré par les montagnes, l’atelier de Jean nous ouvre ses portes sur un jardin coloré par des va’a en réparation. Nous entrons dans l’espace abrité pour découvrir une multitude de matériaux et outils qui invitent à la curiosité : coques en bois et en résine, moules en aluminium, rames, peintures…
C’est dans ce décor que nous rencontrons Jean et son ami d’enfance. L’un travaille sur le ponçage d’un V6, tandis que l’autre s’affaire au résinage d’un V1. Tous deux s’octroient une pause pour que nous puissions faire connaissance. C’est son ami qui prend d’abord la parole et nous parle de Jean. Pour ce dernier, l’aventure commence très tôt.
Sa famille originaire de Tautira évolue au cœur de la formation de Maire Nui, les piroguiers de Tautira.
« En 1978 plus qu’un club, il s’agissait d’une légende vivante. » Pendant près de trente ans, Maire Nui remporte pratiquement toutes les courses dans toutes les catégories ! On raconte encore maintenant comment ils avaient su conserver dans la pratique de la course de pirogues, une dimension communautaire, spirituelle et culturelle. Il s’agissait d’un effort collectif dans lequel tous les membres de la communauté de Tautira étaient associés. Nanua Tama, Mate et Serge Hoatua, Tavae, Puaniho Tauotaha et Tehei étaient les principaux artisans de cette aventure, ainsi que le maire Tutaha Salmon.
Jean évolue donc depuis tout jeune sur l’eau, que ce soit avec le va’a ou le surf. C’est sa mère qui l’emmène aux entraînements et l’encourage à participer aux compétitions. En 1978, il fait son premier Faa’ati Moorea, course annuelle qui se déroule encore maintenant entre Tahiti et Moorea. Cette épreuve marathon de 93 km est l’une des courses les plus prisée et les plus renommée pour sa difficulté.
Il voit également son père et son oncle tailler des pirogues de compétition dans des troncs d’arbres. Il se souvient :
« À Tautira je passais mes vacances chez mon oncle Nanua, un des constructeurs de va’a du moment. »
Jean apprend ainsi de ses aînés et, très vite, réalise lui aussi son propre va’a. « A 16 ans, je fais mon premier va’a taillé dans un tronc de pispis. »
Nourri par son expérience familiale et sportive, Jean développe aujourd’hui des modèles de va’a en bois et en matériaux composites.
Il nous fait découvrir l’utilité des moules pour fabriquer en série des va’a dont les prototypes ont été validés en compétition. Nous apprenons comment les V1 sont fabriqués en carbone en une semaine environ et les V6 en résine polyester en deux semaines.
Pour Jean, le plaisir de ce métier réside dans la création, tenter de nouveaux design puis les tester, les améliorer.
Son expérience grandit à mesure de ses observations, notamment celles faites dans son élément de prédilection : la mer ! « Tout est basé sur les vagues : plus vite tu surfes, plus vite tu récupères, plus vite tu arrives ! »
Outre sa connaissance du terrain, Jean puise avant tout son inspiration dans les pratiques ancestrales et les valeurs des piroguiers de sa lignée.
« Aujourd’hui je souhaite plus de respect pour notre culture, il y a trop de copies et nous perdons le sens du mot va’a. »
En effet, plus qu’une pratique sportive ou le nom de l’embarcation à proprement dite, le mot va’a désigne aussi les hommes d’un même groupe, leur organisation sociale, politique et religieuse, leur espace territorial et surtout leur appartenance à une lignée.
« De nos jours, les dernières générations qui détiennent cette mémoire nous quittent petit à petit en emportant avec elles leurs savoirs. »
Jean souhaite faire perdurer ces valeurs et les transmettre.
Aujourd’hui son atelier reçoit beaucoup de demandes, il a pu travailler pour Shell et EDT notamment, mais son travail demande du temps et de l’investissement. Son souhait serait de pouvoir travailler avec des jeunes curieux et motivés par l’envie de se réapproprier leur culture pour que le va’a continue de vivre selon la dimension qu’il mérite.
Le message de Jean : « Ne jamais oublier d’où l’on vient, l’éducation qu’on a reçue de nos Tupuna et l’importance de l’inculquer à nos enfants. »
Et c’est en regardant les grands troncs utilisés pour tailler les anciennes pirogues suspendus dans l’atelier de ce passionné, que notre sensibilité s’éveille.
Le va’a nous rappelle cette nécessité créatrice commune aux hommes et aux arbres. Celle qui permet en faisant disparaître le temps, de reconnecter la mémoire des anciens aux besoins de mouvement et de renouveau des jeunes générations.
A.D.
Contactez Jean :
j-waterman@hotmail.fr